Friday, July 17, 2009

Pétrole contre nourriture (suite)

Un passeport pour Gilles Munier, secrétaire des amitiés
franco-irakiennes

Backchich.info, 6 juillet 2009

Gilles Munier, 64 ans, va pouvoir s’éloigner de Rennes, où il vit, et mettre le nez en dehors de l’Hexagone. Mis en examen dans l’affaire « Pétrole contre nourriture », par le juge Philippe Courroye, le secrétaire général des amitiés franco-irakiennes était privé de passeport et ne pouvait plus voyager à l’étranger depuis 2005. Curieusement, cette sanction ne s’appliquait qu’à lui et pas aux quelques dizaines de pétroliers, d’hommes d’affaires, d’intermédiaires et de politiciens français qui se sont enrichis sur le dos des Irakiens pendant des années, avec la bénédiction de l’ONU.

Gilles Munier a surtout payé pour ses mauvaises fréquentations. Proche de l’ancien régime irakien, il a dirigé la traduction en français de Zabiba et le Roi, un conte écrit par Saddam Hussein. Militant tiers-mondiste, collaborateur d’Afrique-Asie, Gilles Munier,a publié cette année Les espions de l’or noir (éditions Koutoubia), un livre qui brosse le portrait des agents occidentaux qui traînent leurs guêtres dans les champs de pétrole du Moyen-Orient depuis l’époque napoléonienne.

Saturday, July 4, 2009

Affaire "Pétrole contre nourriture" (suite)

Gilles Munier autorisé à se rendre à l’étranger

Bonne nouvelle pour le Rennais Gilles Munier, secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes : il va pouvoir donner une suite aux « Espions de l’or noir », ouvrage qu’il a publié en avril dernier et qui rencontre un certain succès. En effet, mi- juin, après un entretien avec son avocat Jacques Vergès, la juge Xavière Siméoni a décidé de lui rendre son passeport et de lever l’interdiction qui lui était faite, depuis 4 ans, de voyager à l’étranger… y compris dans l’espace Schengen.

Mis en examen en 2005 dans l’affaire « Pétrole contre nourriture », astreint au versement d’une caution de 50 000 euros, par le juge Philippe Courroye pour non-respect de la résolution de l’ONU mettant l’Irak sous embargo, il n’avait plus d’autre moyen de subsistance que sa plume, et le salaire de son épouse. Ses demandes, réitérées, de recouvrer sa liberté de circulation avaient toutes été refusées, l’obligeant à abandonner deux projets de livres sur les questions de Proche-Orient – et les avances sur droits d'auteur prévues – et à annuler un reportage en Afrique du Sud pour le magazine Afrique Asie auquel il collabore. « Difficile de vivre dans ces conditions », dit Gilles Munier, « et d’autant plus quand on s’aperçoit que les personnes impliquées dans cette affaire voyagent, elles, sans difficulté ». C’est le cas, précise-t-il sans acrimonie, « du patron de Total, qui est allé en Angola et en Syrie avec Nicolas Sarkozy, et qui a même été reçu à Bagdad par Nouri al-Maliki, Premier ministre irakien ».

Alors, il a adressé au Procureur de la République de Paris son dernier livre - qui brosse le portrait d’espions occidentaux envoyés dans le Caucase et au Proche-Orient de l’époque napoléonienne aux lendemains de la Seconde guerre mondiale -, et une demande de restitution de son passeport pour lui permettre d’enquêter sur le jeu des grandes puissances en Méditerranée ces soixante dernières années. Bien lui en a pris. Cette fois, les arguments avancés par Maître Vergès ont été entendus. A 64 ans, c’est peut être pour Gilles Munier le début d’une nouvelle carrière !

paru dans 7 JOURS - hebdomadaire - Rennes – 4/7/09

Wednesday, July 1, 2009

SOFA - status of force agreement

SOFA : LA GRANDE MANIP
par Gilles Munier (Afrique Asie – juillet 09)

Les Irakiens qui croyaient qu’on les consulterait par referendum, fin juillet, pour valider le SOFA - Status of force agreement, le pacte sécuritaire avec les Etats-Unis - voté par les parlementaires le 27 novembre 2008, en sont pour leurs frais : le Premier ministre Nouri al-Maliki en a décidé autrement, en accord avec Barack Obama. La consultation est reportée à janvier 2010, « faute de temps et d’argent », ce qui ne convainc évidemment personne.

Jusqu’au 31 décembre 2008, l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis était entérinée par des résolutions de l’ONU. Pour éviter de se retrouver dans une situation juridique délicate, Washington se devait de négocier, avec le gouvernement irakien, un accord précisant les formes que prendrait, après cette date, la présence militaire américaine dans le pays.

Double langage
Après des mois de tractations, le texte soumis aux députés comportait des formulations ambiguës permettant des interprétations « flexibles » afin que personne ne perde la face. Malgré cela, le 27 novembre dernier, 198 sur 275 parlementaires s’étaient fait porter malade ou avaient éprouvé l’impérieux besoin d’effectuer leur pèlerinage à La Mecque ! Le texte était passé par 149 voix pour, et 35 contre. Pour : celles d’al-Dawa, du Conseil suprême islamique d’Abdul Aziz al-Hakim et des deux partis kurdes. Des membres du Front de l’accord irakien, coalition de partis sunnites, avaient négocié leur soutien au gouvernement en obtenant l’organisation d’un referendum national fin juillet 2009. Contre, principalement : les partisans de Moqtada Sadr. L’Ayatollah Sistani, qui exigeait un semblant de consensus national, donna son aval à l’opération.

Depuis ce vote au Parlement, à Bagdad, dans les milieux pro américains, la mode est plus que jamais au double langage : se présenter au peuple en ardent défenseur de la souveraineté nationale, et assurer Washington, discrètement, qu’il faut maintenir dans le pays une présence militaire conséquente.

Ainsi, le 30 juin, comme l’exige le SOFA, les troupes d’occupation se retireront des villes, mais pour se positionner… à leur lisière ! Interrogés sur le nombre de soldats qui seront maintenus, le général Ray Odierno, commandant de l'US Army en Irak, a répondu : « très petit », et Ali al- Dabbagh, porte- parole du gouvernement, que ce sera « fonction des besoins ». En d’autres termes : les GI’s ne quitteront pas vraiment les villes. L’accord de sécurité les autorise, d’ailleurs, à intervenir partout, sous couvert de chasse aux terroristes d’al-Qaïda au Pays des deux fleuves, vocable englobant toute la résistance. La construction de quatorze nouvelles bases est même à l’étude, dont une baptisée « Joint Security Station Comanche » en bordure de Sadr City. Firyad Rawndouzi, membre du Comité sécurité et défense du Parlement, estime nécessaire un « soutien américain » dans le « zones instables », les opérations militaires se déroulant – au moins sur le papier - en coordination avec l’armée et le gouvernement irakiens. Massoud Barzani est le seul à se déclarer pour le maintien des troupes américaines et à proposer, si nécessaire, la construction de bases de repli dans la région kurde qu’il préside.


« Bagdad s’enflammerait »

Le Président Obama a annoncé le retrait des troupes américaines d’Irak pour le 31 août 2010, soit seize mois avant la date fixée par le SOFA. Mais, de 35 et 50 000 soldats y demeureront pour une période indéterminée, comme prévu par Dick Cheney, pour conseiller et former les troupes irakiennes, et mener « si nécessaire » des opérations « limitées » contre les « terroristes ». Lors du vote à l’Assemblée, ces points avaient été cachés, délibérément, à la plupart des députés et à l’opinion publique. Désormais connus de tous, les non-dits du SOFA annonçaient une campagne référendaire explosive. Le non ne faisait aucun doute et ce, d’autant plus, qu’Obama avait décidé de publier les photos des tortures infligées aux Irakiens par la CIA et la soldatesque étasunienne. C’en était trop pour Nouri al-Maliki. En apprenant la nouvelle, selon un officiel américain présent, le Premier ministre irakien était devenu « blanc comme neige » et déclaré que si la décision était maintenue : «Bagdad s’enflammerait ».

Depuis que Barack Obama a interdit la publication des photos - « pour ne pas mettre en danger les troupes américaines » -, Nouri al-Maliki peut jouer à nouveau au nationaliste à poigne. Il lui restait à échapper au rejet du SOFA par le peuple irakien. Dès mars dernier, Sadiq al-Rikabi, son principal conseiller, avait préparé le terrain en déclarant que le referendum n’était plus nécessaire en raison des engagements pris par Obama. Puis, Faraj al-Haidari, président de la Commission électorale a réclamé 90 millions de dollars pour l’organiser. « Trop cher ! » a dit le Premier ministre et le report du scrutin a été annoncé. Son annulation pure et simple était trop risquée : elle aurait nécessité la convocation du Parlement et provoqué des débats houleux susceptibles de déstabiliser le gouvernement.

D’ici le 30 janvier 2010 - date des législatives–referendum - il faut s’attendre à de nouvelles manipulations de l’opinion autour du SOFA. Nouri al-Maliki se montrera très attentif à la façon dont l’armée américaine respecte l’accord, comme il l’a fait en avril en condamnant un raid US sur Kout et en réclamant – pour la galerie - le passage des militaires impliqués devant un tribunal irakien. Fin manœuvrier, il pourrait, cette fois, demander la négociation d’un nouveau texte. Dans ce cas, son succès électoral est assuré.

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Un pavé dans la mare, signé Nouri al-Maliki

Où s’arrêtera Nouri al-Maliki? Présenté comme le grand vainqueur des élections régionales, il s’apprête à remporter les législatives, inversant au sein de la coalition chiite pro-iranienne l’équilibre des forces en faveur de son parti al-Dawa. Celui que George W. Bush présentait aux anciens combattants du Kansas, en août 2007, comme « un brave type, un brave homme, avec un boulot difficile » qu’il fallait soutenir, se sent pousser des ailes. Avec l’aide des Etats-Unis… et de l’Iran, il se verrait bien présider le pays, sans véritable partage.
Le 19 mai, interviewé par la chaîne de télévision Al-Hurrah financée par Washington, il a critiqué le système de prise de décision par consensus, et dénoncé les quotas de représentativité dans les rouages de l’Etat, basés sur l’origine ethnique ou religieuse comme une « catastrophe ». Puis, il a fait sensation en se déclarant favorable au retour d’un régime présidentiel en Irak.
Les partis kurdes l’ont aussitôt accusé de vouloir modifier la constitution pour monopoliser le pouvoir au profit des Arabes. Les sunnites ont vu dans sa déclaration une tentative pour les marginaliser définitivement. Le mot « totalitarisme » a été prononcé. Pour calmer le jeu, Abbas al-Bayyati, un député proche du Premier ministre, a évoqué l’organisation d’un referendum, envenimant un peu plus le climat politique. A Bagdad, il ne fait de doute pour personne que Nouri al-Maliki a lancé un ballon d’essai et qu’en cas de victoire électorale en janvier prochain, il mettra son projet à exécution.

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Guerre d’Irak : c’était bien une croisade !

George W. Bush avait clairement dit, après les attentats du 11 septembre, que sa guerre contre le terrorisme était une « croisade du Bien contre le Mal ». Devant l’émoi suscité par cette évocation dans les pays musulmans, le Département d’Etat avait tempéré le propos en disant qu’il s’agissait en fait d’une « croisade pour de droit ». Le terme avait ensuite disparu du langage du président des Etats-Unis, ce qui ne l’empêchait pas de truffer ses discours de citations bibliques et de déclarer que Dieu l’avait investi d’une mission sacrée contre les « Etats voyous ». Sa guerre contre l’Irak revenait, officieusement, à débarrasser ce pays d’une sorte d’Antéchrist, justification utile aux néo-conservateurs pour faire passer au second plan le pétrole et la défense d’Israël.
Mais, dans le premier cercle entourant Bush, il était toujours bien question de croisade. C’est ce qu’a révélé le magazine étasunien CQ, qui suit les activités du Congrès : les couvertures des rapports « top secret »* décrivant le déroulement de l’invasion, adressés par Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat à la Défense, à la Maison-Blanche faisaient, toutes, référence aux livres de l’Ancien Testament ou à l’Epître de Paul aux Ephésiens. John Burton, conseiller politique de Tony Blair pendant 24 ans, affirme dans son livre « We Don't Do God », que le Premier ministre britannique percevait, lui aussi, la guerre d’Irak comme une « nécessité biblique ». Une croisade anglo-saxonne donc, de bout en bout : jusqu’à l’échec !

* Les couvertures des rapports du Pentagone sont sur : http://men.style.com/gq/features/topsecret

Friday, June 5, 2009

Elections au Kurdistan irakien

LES KURDES ENTRE RESSENTIMENT ET COLERE

Le Kurdistan irakien, présenté dans certains médias comme une base avancée de la démocratie au Proche-Orient, retient son souffle. Massoud Barzani, président de la région autonome, a annoncé, après plusieurs reports justifiés par de soi disant problèmes budgétaires, que les élections au parlement régional se tiendront le 25 juillet prochain : 2,5 millions d’électeurs seront appelés aux urnes, et plus de 40 listes seront en lice pour 111 sièges. Voilà pour la façade.

Pour le reste, le plus important pour la population de la région, la situation est préoccupante, sinon catastrophique, que ce soit au plan économique qu’en matière de droits de l’homme. Les membres des tribus Barzani et Talabani trustent les postes décisionnels et dilapident les richesses régionales. Certes, les grandes villes ont des aéroports neufs, des hôtels cinq étoiles, mais l’électricité manque, les services médicaux sont déficients et l’enseignement laissé à l’abandon, ou presque. La corruption bat son plein et des groupes maffieux liés au pouvoir gèrent la contrebande, le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan, et l’exportation clandestine de pétrole. L’immigration vers l’Union européenne semble le seul espoir de lendemains meilleurs pour toute une partie de la jeunesse. Moushiwan Mustapha, ancien n°2 de l’UPK (Union Populaire du Kurdistan) dont il a été le fondateur avec Jalal Talabani, compare le système mis en place après 2003 à celui de la Roumanie sous Ceausescu !


Abus de pouvoir, corruption et prisons secrètes

Les médias, à quelques exceptions près, sont aux ordres des deux grands partis. Les journalistes indépendants ne peuvent pas adhérer au syndicat officiel, et la moindre critique provoque en retour intimidations, arrestations et amendes. A Kirkouk, menacée d’annexion, la journaliste Soran Mama Hama, a été assassinée pour avoir critiqué les services sécuritaires kurdes. D’autres, à Erbil et Soulimaniya, ont échappé à des attentats pour avoir dénoncé les abus de pouvoir et la corruption. Pour la publication d’informations dites « confidentielles », Adib Aref, rédacteur en chef du quotidien kurde Hawlati, a été qualifié en 2008 de « traître au service de l’étranger » par le secrétariat de Barzani. Jalal Talabani, en tant que président de la République, s’en est pris aussi à lui, en lui intentant un procès pour avoir publié, en kurde, un rapport du chercheur américain Michael Rubin, qui lui déplaisait. L’ex-chef de guerre, que le légendaire Mustapha Barzani comparait à un scorpion, n’a évidemment rien du « George Washington irakien » vanté par le département d’Etat étasunien.

La sécurité – toute relative – ne prévaut au Kurdistan qu’au prix d’arrestations et d’incarcérations dans les prisons secrètes du ministère de l’Intérieur de la région autonome et des services secrets du PDK (Parti démocratique du Kurdistan, de Massoud Barzani) ou de l’UPK. Masrour Barzani, fils du président de la région, chef du Parastin, le SR du PDK, se croit tout permis. En février 2006, à Vienne, il aurait fait tabasser par ses gardes du corps à Vienne Kamal Saïd Qadir – citoyen autrichien - connu pour ses articles attaquant la nomenklatura d’Erbil. Arrêté lors d’un séjour au Kurdistan en 2005, cet intellectuel avait été condamné à … 30 ans de prison, puis libéré quelques mois plus tard grâce aux pressions exercées par l’Autriche sur le président kurde.


Test de popularité grandeur nature

La liste Kurdistan, du duo Barzani-Talabani, emportera-t-elle les élections ? L’UPK, en perte de vitesse, tire le PDK vers le bas. Bien qu’elle peut compter sur les voix de tribus qui leur ont fait allégeance, de nouvelles forces apparaissent, issues de la mouvance islamique ou inspirées par le PKK, l’organisation séparatiste kurde de Turquie. Kamal Saïd Qadir s’est déclaré candidat. Moushiwan Mustapha, qui dirige le groupe de presse Wisha Media Corporation, se présente en alternative sérieuse. Considéré comme « l’enfant terrible » du nationalisme kurde irakien, il concourra, avec Jawhar Namiq, membre de la direction du PDK qui l’a rejoint, sous l’étiquette du « Changement ». Sa liste peut compter sur le soutien du quotidien Rozhnama et de KNN-TV qui lui appartiennent. Mais, cette dernière n’émet que 7 heures par jour, peu à côté des chaînes radio et télévisées de l’alliance Barzani –Talabani avec leurs dix satellites émettant 24 heures sur 24. Mais, indication qui ne trompe pas, la défiance des Kurdes pour leurs dirigeants, un sondage effectué par Hawlati le 12 mai, place la liste du Changement en tête avec 59,3% des voix, suivie par celle des Quatre Partis qui regroupe des mouvements islamique et de gauche (19%). La liste Kurdistan ne dépasserait pas les 20%.

Qotab Talabani, le très contesté « ambassadeur » kurde aux Etats-Unis, a beau exhorter la diaspora kurde à dépasser ses ressentiments, la décision du Gouvernement Régional Kurde (KRG) de ne pas appeler à voter les électeurs résidant à l’étranger, jugés trop frondeurs, est du plus mauvais effet. Depuis plusieurs décennies, les Barzani et Talabani ont fait miroiter aux yeux des Kurdes les bienfaits de la démocratie et de l’indépendance. Pour ce qui est des libertés, depuis l’agression américaine de 2003, la population ne se fait plus d’illusions. Depuis qu’en mars dernier, Jalal Talabani a jugé « impossible » l'accession du Kurdistan irakien à l'indépendance, et réduit les vieilles revendications séparatistes kurdes à un « rêve poétique », le désenchantement transcende tout l’éventail politique. Quel que soit le résultat des élections en juillet, la stabilité dans cette région d’Irak est des plus incertaines.

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La Région autonome du Kurdistan irakien

La division des Kurdes irakiens, dues à des inimitiés ancestrales entre tribus, clans, ou aux ambitions personnelles de dirigeants politiques, a toujours entretenu dans cette partie de l’Irak, une confusion propice aux interventions étrangères. L’Union soviétique, les Etats-Unis, Israël, l’Iran, la Syrie ou la Turquie s’y sont souvent affrontés, ou s’y affrontent toujours, par chefs kurdes interposés.
En arrivant au pouvoir à Bagdad, en juillet 1968, le parti Baas avait pour objectif prioritaire de rétablir la paix entre irakiens en réglant définitivement le problème kurde, en partant du principe que leurs aspirations étaient « naturelles et légitimes ».
Le 11 mars 1970, une proclamation jetant les bases de rapports nouveaux entre Arabes et Kurdes a été rendue publique, suivie en 1974 par l’octroi d’un statut d’autonomie interne pour les gouvernorats de Soulimaniya, Erbil et Dohouk, qui formèrent la Région autonome du Kurdistan.
A cette époque, Mustapha Barzani – père de Massoud - qui avait négocié le projet avec Saddam Hussein, alors vice-président, et qui y était favorable, changea brusquement de position en revendiquant les puits de pétrole de Kirkouk, sous la pression du Chah d’Iran, d’Henry Kissinger et d’Israël. Il proposa même à Washington de faire du Kurdistan… un Etat américain ! Aujourd’hui, après bien des péripéties et des dizaines de milliers de morts, la situation a certes évoluée, mais pour se ressembler. Cruellement.

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Les services secrets kurdes font la loi

Le Parastin, service secret du PDK, et le Dazgay Zaniyari, celui de l’UPK, sont dirigés respectivement par Masrour Barzani et Pavel Talabani, fils des présidents inamovibles de ces partis. Ils coordonnent plus ou moins leurs activités de répression avec l’Asayish, organe officiel de sécurité de la Région autonome, fondé en 1993.
Le Parastin, le Dazgay Zaniyari et l’Asayish sont régulièrement accusés de détentions arbitraires, de torture, d’exécutions sommaires, et de nettoyage ethnique à Kirkouk et ses environs – riches en pétrole - où les Turcomans sont majoritaires. La plupart des détenus politiques, passés par des prisons secrètes, ou des « disparus », sont des membres d’organisations islamiques antiaméricaines. Les cadres des services secrets kurdes ont été à « bonne école », formés, suivant les époques, par le KGB, la Savak du Chah, la CIA, le Mossad israélien, voire le Vevak des Mollah iraniens.


Article publié dans Afrique Asie de juin 2009

Saturday, April 25, 2009

Interview

3 questions à:
Gilles Munier : « espion de l’or noir » !
"7 Jours" (Hebdomadaire - Rennes) du 24 avril 2009

Le rennais Gilles Munier, connu pour ses relations en Irak du temps de Saddam Hussein, vient de publier « Les espions de l’or noir »* qui traite des menées clandestines occidentales dans le Caucase et dans le monde arabe, de Napoléon 1er à la fin de la Seconde guerre mondiale. Outre l’inévitable Lawrence d’Arabie, il brosse le portrait d’une pléiade d’agents secrets sulfureux qui ont fait du pétrole l’énergie maîtresse du monde. Un document passionnant qui se lit comme un roman.


Q : Les « Espions de l’or noir » débutent avec l’expédition de général Bonaparte en Egypte. Pourquoi remonter si loin, à une époque où il n’était pas question de pétrole ?

R : Les espions sont des pions sur un échiquier. Les défaites militaires de Bonaparte devenu Napoléon 1er, puis de Napoléon III, face aux Anglo-saxons ont permis à leurs agents secrets d’être en position de force au Proche-Orient lorsque Churchill a choisi le pétrole comme carburant de la flotte anglaise. Les dirigeants français de l’époque, inconscients ou corrompus, les ont laissé faire. Les Américains sont ensuite entré dans le jeu. Les deux guerres mondiales étaient des guerres du pétrole, les Allemands les ont surtout perdues faute d’en avoir où d’accéder à ses sources. L’expédition de Suez, la guerre dite des Six jours, les guerres Iran-Irak et du Golfe aussi. Comme le disait un des fondateurs de l’OPEP, le pétrole est bien « l’excrément du Diable ».

Q : Vous avez effectué de multiples voyages au Proche-Orient et rencontré des dirigeants qualifiés de terroristes, n’avez-vous jamais craint d’être accusé d’espionnage ?

R : Toute la question est de savoir où commence et où finit l’espionnage. Du temps de la guerre froide, remettre aux Soviétiques les derniers horaires SNCF pouvait être assimilé à de l’intelligence avec l’ennemi. J’ai toujours agi selon ma conscience, selon l’idée que je me faisais de la France et de ses intérêts, sans trahir la confiance de mes interlocuteurs. Le Proche-Orient est un nid d’espions. Etre soupçonné d’espionnage fait partie du paysage. Quand on n’a rien à se reprocher, il ne faut pas s’inquiéter.


Q : Dans les années 70, vous avez séjourné symboliquement dans un camp palestinien, en 1990 vous avez fait libérer des otages français en Irak, vécu les guerres Iran-Irak et du Golfe, reçu des menaces de mort d’un fanatique pro israélien, enfin depuis 4 ans - après votre mise en examen, avec le patron de Total, quelques ambassadeurs et Charles Pasqua, dans l’affaire « Pétrole contre nourriture » - il vous est interdit de sortir de France, pourquoi n’avoir pas plutôt choisi de raconter vos aventures ?

R : J’ai été mis en examen par le juge Courroye pour avoir violé une résolution de l’ONU, et astreint de verser une caution de 50 000 euros. Je m’en serai bien passé, mais suis fier d’avoir lutté contre un blocus responsable de la mort de plus d’1,5 million enfants irakiens. L’interdiction de quitter la France me pose de graves problèmes financiers. J’ai du abandonner deux projets de livres qui nécessitaient des déplacements à l’étranger. Vivement le procès… et la liberté : avec Jacques Vergès, mon avocat, nous l’attendons de pied ferme.

Si « Les espions de l’or noir » se vend bien, j’envisage une suite. Quant à écrire mon autobiographie : encore faudrait-il que ma vie intéresse suffisamment de lecteurs pour la raconter. Je n’en suis pas persuadé.

* Editions Alphée-Koutoubia - 330 pages, avec photos, cartes et index – 22,90 euros

Envoi de "Les espions de l'or noir", dédicacé par l’auteur
France: Chèque de 28, 40 euros (22, 40 + 5,50 de port), à l’ordre de :
Amitiés franco-irakiennes
7, rue de Sarzeau - 35700 Rennes
(tarif sur demande pour les envois à l'étranger)

Table des matières de l'ouvrage:
http://espions-or.noir.over-blog.com/pages/Table_des_matieres-1282939.html






Thursday, April 9, 2009

CORRUPTION EN IRAK

Les non-dits du commerce avec l’Irak
Arnaques et pièges en tous genres à Bagdad
par Gilles Munier

A l’exception de ceux qui ont une parfaite connaissance des rouages de l’économie irakienne et de ses pièges, inciter les chefs d’entreprises à aller à Bagdad – comme l’a fait Nicolas Sarkozy - peut être assimilé à de la non assistance à personne en danger. L’Irak n’est pas un eldorado pour occidentaux, mais un champ de bataille. Il le demeurera tant que les Américains n’auront pas quitté le pays… et ce n’est pas demain la veille. Pour avoir un aperçu des dangers encourus, il suffit de consulter le site « Conseils aux voyageurs »… du Quai d’Orsay, et ceux des organismes qui traitent des « risques pays » : OCDE, AON France ou l’ONDD belge.

Les dirigeants portés au pouvoir à Bagdad par les Américains, ne semblent pas avoir pour priorité de reconstruire le pays, mais de se remplir les poches en un minimum de temps. Les chefs d’entreprises étrangères, appâtés par des contrats « juteux », ne sont pour eux que des pigeons à plumer. Les témoignages ne manquent pas sur les chausse-trappes à éviter et la course aux obstacles sans fin imposée à ceux qui se sont risqués à commercer avec l’Irak.

Certains ont déjoué des arnaques à la nigériane. A Erbil – Kurdistan irakien - et en Irlande, des bureaux de représentation bidons émettent des faux contrats au nom d’organismes officiels irakiens et réclament une participation aux frais pour les valider. D’autres ont été victimes de gangs de hackers qui ont intercepté leurs échanges de courriels avec leurs contacts en Irak, et ont reçu de fausses demandes d’aide, sous le couvert d’identité d’hommes d’affaires irakiens connus.

A Bagdad, l’industrie du bakchich fonctionne à plein rendement. Il faut en verser, en cascade, aux responsables de partis chiites pro iraniens, ou sunnites pro américains, qui se partagent les postes dans les ministères et les sociétés qui en dépendent. Les contrats traités par un ministre étant supérieurs à 5 millions de $, compris entre 2 et 5 millions de $ pour les vice ministres, et jusqu’à hauteur de 2 millions pour les directeurs généraux, on imagine les commissions réclamées par les intermédiaires qui pullulent.

Ce n’est pas tout : l’Iraqi Investment Board, créé pour encourager les étrangers à investir dans la reconstruction du pays, pratique un véritable racket. N’ont le droit de concourir que ceux qui payent pour voir, mais à la différence du poker, la partie est loin d’être terminée. Le chef d’entreprise se fait aussi rançonner par la Trade Bank of Irak qui a le monopole de l’émission des lettres de crédit (LC) pour l’Etat irakien, puis doit verser des provisions pour le paiement des commissions aux comités chargés de réceptionner ses envois. Enfin, l’angoisse le prend quand il s’aperçoit que les LC sont rédigées de façon à ce que son client puisse bloquer le paiement du contrat sous divers prétextes. Les LC n’étant pas envoyées après émission aux ministères concernés, ne sont pas validées par les sociétés d’Etat. Résultat : quand le fournisseur se voit réclamer des pénalités de retard, il n’a aucun recours. La désorganisation de l’économie irakienne a bon dos. Les incohérences et ratées du système sont souvent délibérées.

Depuis quelques semaines, pour décourager les sociétés étrangères de recouvrer leurs créances quand le montant des contrats ne dépasse pas les 2 millions de $, la Trade Bank of Iraq (TBI) – qui joue le rôle de l’ancienne Banque centrale d’Irak pour le règlement des contrats des sociétés et organisations d’Etat – oblige les sociétés étrangères à effectuer les remises documentaires à des partenaires locaux dans des régions « instables ». Par exemple, une livraison à Bassora, où il est facile à se rendre via Koweït City, est ainsi traitée à 850km, par une banque de Mossoul, dans une province connue pour être un des principaux foyers de résistance, donc impossible d’accès sans protection armée coûteuse. Ces méthodes de gangsters n’étonnent personne sur les bords du Tigre. Le président de la TBI est, comme par hasard, un affidé d’Ahmed Chalabi, condamné à 22 ans de prison en Jordanie, en 1992, pour la faillite frauduleuse de la banque Petra et ses relations la CIA… et les mollahs iraniens.

Ce n’est évidemment pas parce qu’un régime déplait qu’il faut ostraciser le peuple d’un pays. A plus forte raison lorsqu’il s’agit de l’Irak qui a subi deux guerres, treize ans d’embargo criminel et une occupation meurtrière qui n’en finit pas. Il n’y a aucune raison, non plus, de laisser les entreprises anglo-saxonnes et iraniennes monopoliser le commerce extérieur irakien. Mais, est-ce uniquement pour cela qu’est organisé le retour des entreprises françaises en Irak ?

Avant de commercer avec l’Irak, il est vivement conseillé de lire Kafka.

Thursday, April 2, 2009

Commercer avec l'Irak? (2)

Entreprises françaises :
La sécurité ne sera pas au rendez-vous

Conditions de la reconstruction : le départ des troupes anglo-saxonnes du pays et l’élection d’un gouvernement vraiment représentatif du peuple irakien. On en est loin. La promesse de Barak Obama de se retirer totalement d’Irak n’étant qu’en partie tenue, l’amélioration de la sécurité pour les hommes d’affaires intéressés par le marché irakien, n’est pas au rendez-vous des entreprises françaises. De 15 000 à 50 000 Gi’s resteront en Irak pour une période indéterminée. Ils participeront, sous un autre nom, à des opérations militaires. Personne ne parle des 150 000 mercenaires en mission dits de sécurité, ni du nombre de bases qui seront maintenus. Le général Ray Odierno, commandant des troupes d’occupation, envisage d’en installer une près des champs pétroliers de Kirkouk, sous prétexte d’empêcher les Kurdes d’annexer la ville.

La Résistance qui avait réduit ses activités en janvier, les relance. Le bureau politique de Rafidain l’a fait savoir le 28 février avec son communiqué n°57. Cette organisation est connue pour ses nombreuses opérations, la plus célèbre étant l’assassinat, en décembre 2003, de Dale Stoffel, un proche de George Bush, officiellement marchand d’armes, mais accusé d’être le véritable chef de la CIA en Irak. Autre réaction : celle du Front islamique de la résistance irakienne (JAAMI), le 11 mars : Abdullah Hafiz, son porte-parole, a déclaré avoir suffisamment de munitions pour tenir dix ans et estimé entre 50 et 75 le nombre d’opérations militaires effectuées chaque mois par le front. Il a annoncé, pour bientôt, la mise en service d’un missile de 25kms de portée (*). Bonjour les dégâts.

(*) http://antiimpmedia.wordpress.com/2009/03/09/jaami-hafiz

Commercer avec l'Irak?

Affaires à haut risque à Bagdad
par Gilles Munier (Afrique Asie – avril 2009)

Nicolas Sarkozy ne comprenait pas pourquoi les chefs d’entreprise français rechignaient à se rendre à Bagdad… Il y est allé en visite éclair, le 10 février, avec Bernard Kouchner et Hervé Morin, à bord d’un avion sécurisé, pour dire au président Jalal Talabani que la France était de retour et se proposait d’aider l’Irak à former et à équiper ses forces de police et de sécurité, et « aussi l'armée irakienne». Alors que Robert Gates, secrétaire américain à la Défense, avait déclaré fin janvier que les troupes américaines allaient « connaître des jours difficiles », le président français demandait à Bernard Kouchner de profiter de « l’amélioration » de la situation sécuritaire pour organiser et diriger, en juin prochain, une mission commerciale.

L’Irak dans le rouge
Des chefs d’entreprise y participeront, ne serait-ce que parce qu’elles ont besoin de l’aide de l’Etat sur d’autres marchés. Mais, retourner ensuite à Bagdad finaliser d’éventuels contrats et participer à la reconstruction du pays, est une autre histoire. Il leur suffit de consulter… le site « Conseils aux voyageurs » du ministère des Affaires étrangères, pour avoir un autre éclairage de ce qui les attendrait alors. Le son de cloche est radicalement différent : les voyages en Irak sont « fortement » déconseillés. Le Quai d’Orsay demande d’emprunter un véhicule blindé, escorté de gardes armés, pour aller de l’aéroport à la Zone verte hyper protégée, de se tenir à l’écart des fenêtres ou derrière des rideaux pour éviter les éclats d’explosions. En cas de déplacements, il enjoint de rester à distance des convois militaires, car les soldats peuvent tirer à titre préventif, prenant n’importe qui pour d’éventuels attaquants.

Tous les sites spécialisés dans les « risques pays » situent tous l’Irak dans le rouge. Sur une échelle de 7, l’OCDE place l’Irak au niveau 6 pour les risques politiques, et au niveau C pour les risques commerciaux, le maximum. L’ONDD, agence belge de crédit à l’export, lui attribue le niveau 7 pour les risques de guerre, et Aon France, filiale d’un des leaders mondiaux de la gestion des risques, classe l’Irak dans les pays à risques « très élevés » et signale la difficulté de souscrire des polices d’assurance pour couvrir les risques encourus. La Coface, assureur-crédit français, ne sera d’aucun secours. Elle a annoncé un plan de crise pour 2009, et commencé par relever de 30% ses tarifs généraux, qui ne comprennent pas les surprimes réclamées pour un pays comme l’Irak. Pas bon pour les affaires. Si bien qu’encourager, aujourd’hui, un chef d’entreprise à aller en Irak – sauf s’il a une parfaite connaissance des rouages de l’économie irakienne et de ses pièges – tient de l’irresponsabilité, voir de non assistance à personne en danger.

Kouchner, mauvaise carte
Autre handicap pour les entreprises qui participeraient à la mission commerciale, à Bagdad, l’étoile des amis de Bernard Kouchner est sur le déclin. Le président Jalal Talabani, son principal soutien, a décidé de ne pas se représenter en 2010. A 75 ans, son état de santé est des plus préoccupant et il lui faut reprendre en main l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) qu’il dirige, en voie d’implosion. Reste le vice-président de la République, Adel Abdel Mahdi, membre du Conseil suprême islamique irakien, grand perdant aux dernières élections régionales en raison de ses liens étroits avec l’Iran. Donc, il n’est pas dit qu’il le demeurera. D’autant qu’on l’accuse par ailleurs de corruption, et notamment… de l’achat d’un vignoble dans le Bordelais ! En revanche, le départ probable de Kouchner du Quai d’Orsay serait plutôt positif. Nouri al-Maliki, Premier ministre, qui s’impose dans la perspective des élections législatives prévues pour la fin de l’année, n’a pas encore digéré qu’en août 2008, ce dernier ait demandé à Condoleezza Rice son remplacement par Adel Abdel Mahdi. Mieux vaudrait, pour les entreprises, que le voyage soit repoussé à des jours meilleurs.

Ce n’est évidemment pas parce qu’un régime déplait qu’il faut ostraciser le peuple d’un pays. A plus forte raison lorsqu’il s’agit de l’Irak qui a subi deux guerres, treize ans d’embargo criminel et, où l’occupation meurtrière du pays n’en finit pas. Il n’y a aucune raison, non plus, de laisser les entreprises anglo-saxonnes et iraniennes monopoliser le commerce extérieur irakien. Mais, est-ce bien dans cet esprit qu’est organisé le retour des entreprises françaises en Irak ? Il ne faut pas confondre patriotisme économique et mercantilisme. Avec Bernard Kouchner, on sait maintenant qu’il faut craindre le pire.

Sunday, March 1, 2009

Irak: Elections régionales

Elections régionales : l’envers du décor
par Gilles Munier (Afrique Asie – mars 2009)
http://www.afrique-asie.fr/article.php?article=639

Pour les médias internationaux, Nouri al-Maliki et la coalition formée par son parti al-Dawa sont, avec 38% des suffrages à Bagdad, les grands vainqueurs des élections régionales. Mais, sur le terrain, ses candidats savent que leur pouvoir ne tient qu’à un fil ténu, car 50% des électeurs inscrits se sont abstenus ou n’ont pas pu voter. En outre, deux millions d’Irakiens réfugiés en Syrie et en Jordanie, et la résistance intérieure, les exècrent et leur dénient toute légitimité. De plus, la Région autonome du Kurdistan n’a pas participé au scrutin, Massoud Barzani ayant reporté les régionales à une hypothétique solution de la question de Kirkouk. Les résultats définitifs qui seront annoncés dans plusieurs semaines, après d’ultimes marchandages, sont donc à relativiser et à interpréter.

Un vote pour l’unité de l’Irak

Les électeurs irakiens n’avaient pas de véritable choix. Les organisations de la résistance n’acceptant pas la tenue d’élections sous l’occupation, et n’ayant pas la possibilité de se constituer des partis, ont voté pour les candidats dont le discours correspondait le plus à leurs attentes : contre les Etats-Unis et la main mise iranienne, pour un Etat centralisé et plus de sécurité. Nouri al-Maliki qui a donné l’impression d’avoir défendu pied à pied l’indépendance de l’Irak face aux Américains, lors des négociations de l’Accord de sécurité (SOFA) prévoyant le départ des troupes d’occupation, l’a donc emporté. Un plan média le présentait comme nationaliste, soucieux d’améliorer le niveau de vie des fonctionnaires, de rétablir l’ordre dans le pays et de limiter le pouvoir des mollahs iraniens. Son succès, tout relatif, lui donne un ersatz de légitimité avec laquelle ses rivaux devront compter lors des élections législatives, prévues à la fin de cette année.

La tendance générale de l’électorat favorable l’unité de l’Irak et contre le confessionnalisme introduit par les Américains, s’est traduite à Mossoul et dans la province de Ninive par la victoire du bloc al-Hadba, nationaliste proche des baasistes, avec 48% des voix. Dans le sud du pays, le Conseil suprême islamique en Irak (CSII) d’Abdul Aziz al-Hakim, réduit à la portion congrue, n’a plus de suprême que le nom ! Il est partout distancé. A Nadjaf, la liste Maliki (16,2%) le dépasse de deux points. Pire, à Kerballa, Youcef al-Haboubi, un candidat indépendant, gouverneur-adjoint de la ville sainte… sous Saddam Hussein, est en tête avec 13 ,3% des voix, contre un humiliant 6,4% pour le CSII. Abdul Aziz al-Hakim qui avait négocié avec Massoud Barzani la création d’un Emirat pétrolier chiite autour de Bassora et Nadjaf, en échange de son soutien à l’annexion de Kirkouk par les Kurdes, ne s’attendait pas à pareil discrédit.

Autre conséquence, mais paradoxale, du vote nationaliste en Irak : les 13,9% obtenus par la liste d’Iyad Allaoui dans la province de Salaheddine qui inclut Tikrit. Les partisans de Saddam Hussein, qui y sont nombreux, ont préféré voter pour l’ancien baasiste, même connu comme membre de la CIA, plutôt que pour Maliki (3,5%) !

Dans la région d’al-Anbar, où Al-Qaïda en Mésopotamie faisait jadis la loi, les listes tribalistes ont totalisé plus de 21% des voix. Le cheikh Ahmed Abou-Risha, principal leader des milices tribales Sahwa pro-américaines, avait menacé de proclamer un Etat d’al-Anbar ou de transformer la province en un « autre Darfour », si le Parti islamique irakien du vice président sunnite Tariq al-Hashemi, qui dirigeait la province depuis la mascarade électorale de 2005, faisait un meilleur score que lui. Il réclamait, par ailleurs, le boycott de l’Iran et la fermeture des frontières avec ce pays, et proposait au Pentagone de mettre son expérience au service de l’OTAN en Afghanistan, pour combattre les Talibans...

50% de votants… mais

Le vote nationaliste et sécuritaire aurait été encore plus significatif si tous les électeurs avaient pu voter. A al-Adhamiya, quartier de Bagdad à majorité sunnite, la plupart des Irakiens s’appelant Omar ou Othman – prénoms des califes haïs des chiites militants – avaient été rayés des listes électorales ! Un peu partout en Irak, les personnes soupçonnées d’être des opposants ou d’appartenir à un parti concurrent, ont été inscrites dans des bureaux de vote éloignés de leur domicile. L’interdiction de circuler en voiture, pour des raisons de sécurité, les a empêchés pour la plupart de mettre leur bulletin dans une urne.

Dans le sud, les partisans de Moqtada Sadr se sont plaints que des urnes aient été exclues du décompte des voix dans des quartiers leur étant acquis, tandis qu’à al-Anbar les chefs de tribu se disaient prêts à prendre les armes si on prenait en compte le vote des faux électeurs du Parti islamique irakien.

Dans la plaine de Ninive et le Djebel Sindjar, la victoire d’al-Hadba a été rognée par l’impossibilité faite à de nombreux Assyro-chaldéens, Turcomans, Shabaks et Yézidis de voter normalement ou de se rendre dans leur bureau de vote. Responsables : l’Asayish – terrifiant service secret kurde – et les Peshmergas de Barzani qui menaçaient la population pour qu’elle vote pour la liste Ishtar, favorable à l’annexion du nord de Mossoul dans la Région autonome du Kurdistan. Résultat : 25% des suffrages, c'est-à-dire pratiquement les seuls électeurs kurdes. Quand elles l’ont pu, les minorités ont préféré s’abstenir. A Hamdaniya, 20 000 électeurs assyro-chaldéens, soit 70% de l’électorat local – n’ont pas voté. En pays turcoman, le Front turkmène avec 2,5% des voix dépasse néanmoins le CSII d’al-Hakim, réduit à 1,9%. A Tuz Khurmatou, ville turcomane située près de Kirkouk, des éléments d’un bataillon kurde avaient été placés à 200 mètres des bureaux de vote pour intimider la population.

Prochain round : renverser Nouri al-Maliki ?

En Irak, les conseils régionaux ont en charge les forces de sécurité, nomment les gouverneurs et un certain nombre de fonctionnaires. Leur pouvoir est limité par l’Assemblée nationale qui vote leur budget et peut les révoquer. Nouri al-Maliki est assuré du soutien des sadristes et des petites listes pour gouverner Bagdad et les provinces chiites, malgré les affrontements sanglants qui l’ont opposé à l’Armée du Mahdi à Bassora et à Sadr-City à Bagdad. Mais, non sans difficulté : un second round se profile. Massoud Barzani qui accusait - en janvier dernier, dans le Los Angeles Times - le Premier ministre d’exclure les Kurdes des forces de sécurité et de vouloir modifier la constitution pour interdire au Kurdistan d’accéder à l’indépendance, vient d’essuyer un semi échec dans la région de Ninive. Ses appétits expansionnistes vers les zones dites contestées – en gros soixante à cent kilomètres le long de la frontière de la région kurde - sont remis en question. Avec Abdul Aziz al-Hakim et Iyad Allaoui, il pourrait tenter de mettre al-Maliki en minorité à l’Assemblée nationale, et le renverser.



La partition, toujours d’actualité ?

A moins que le Sénat ne repousse sa nomination, Christopher Hill sera le prochain locataire de l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad, forteresse de 40 hectares entourée de murs blindés, de miradors et de barbelés, située dans la Zone verte, ultra protégée…

Hill est un diplomate de carrière expérimenté, chargé du dossier nord-coréen par l’administration Bush. Mais, il est surtout connu pour son rôle dans l’éclatement de la Yougoslavie, comme envoyé spécial au Kosovo et négociateur des accords de Dayton sur la Bosnie. Cela ne présage rien de bon sur les intentions véritables des Etats-Unis en Irak, surtout quand on sait que le vice-président Joseph Biden avait proposé, en 2006, la partition de l’Irak en trois régions.

Hill a été préféré à Anthony Zinni, général des Marines à la retraite et ancien commandant de l’United States Central Command, connu pour son franc-parler. Le général - pour qui Barak Obama aurait un « énorme respect » - n’avait pas hésité à s’opposer, en 2002, au projet d’attaque de Bagdad et un an plus tard à l’occupation de l’Irak. En mars 2006, il avait publié une tribune retentissante dans le New York Times appelant Donald Rumsfeld à démissionner et ainsi contribuer à son éviction.

La nomination à Bagdad de Zinni, annulée sans explication, avait été confirmée en janvier par Hillary Clinton. Au Département d’Etat américain, on se justifie en disant qu’il était difficile de désigner un général comme ambassadeur à Bagdad alors qu’on venait d’en nommer un autre - Karl Eikenberry – en Afghanistan. Ne craignait-on pas, plutôt, qu’un sénateur l’interroge sur son rôle comme ancien vice-président de Dyncorp, une des principales sociétés privées de mercenaires ?



Izzat Ibrahim, la résistance, et l’effet Obama

A part l’écho disproportionné donné à un communiqué d’Ansar al-islam affirmant que voter aux élections régionales du 31 janvier, est contraire à l’islam, la presse internationale s’est bien gardée de rapporter les prises de position de la résistance irakienne. La plupart appelaient au boycott du scrutin, sans toutefois décider d’en gêner la tenue. Le discours prononcé le 5 janvier dernier par Izzat Ibrahim al-Douri, chef du Haut-commandement du Djihad et de la Libération - à l’occasion de la fête de l’armée irakienne - a été passé sous silence. Président du parti Baas clandestin, il avait pourtant tendu la main à Barak Obama, allant jusqu’à proposer une « alliance stratégique, large et profonde » entre l’Irak et les Etats-Unis. Bien qu’assortie de conditions intransigeantes concernant le départ des troupes d’occupation et la souveraineté du pays, cette offre provoque, depuis, un certain émoi dans les milieux nationalistes arabes qui s’inquiètent de son impact démobilisateur. L’ordre qu’il donne ensuite aux Irakiens réfugiés à l’étranger dans « des hôtels cinq étoiles, à la terrasse des cafés et dans des boudoirs » de rejoindre le combat, a peu de chance d’être entendu. En Irak, personne ne compte une infime minorité de nantis pour libérer le pays.

Bruits de bottes au Kurdistan irakien
Les Américains en Irak assistent à la détérioration des relations entre leurs alliés kurdes et arabes, et se demandent s’ils ne vont pas être entraînés dans une guerre kurdo-arabe. L’enjeu des combats ne serait pas seulement Kirkouk et les territoires revendiqués par Massoud Barzani, président de la Région autonome, mais la proclamation d’un Etat indépendant. Dans cette perspective, Nouri al-Maliki, fort de son succès aux élections régionales, a commandé pour 5 milliards de dollars d'armes à l’armée US. Un conflit lui permettrait d’élargir son audience, au nom de la patrie en danger. Il bat déjà le rappel des officiers de l’armée irakienne dissoute en 2003. Vingt trois mille d’entre eux, réfugiés à l’étranger, se verront offrir la réintégration avec versement des salaires non perçus, ou le paiement d’une retraite.

En septembre, la Bulgarie a livré à Barzani, clandestinement, trois avions cargo C-130, bourrés d’armes et de munitions. Selon le quotidien kurde Hawlati, Jalal Talabani aurait ordonné à 3 800 peshmergas basés à Bagdad de retourner dans son fief de Soulimaniya pour prévenir d’éventuels troubles. La fuite des capitaux kurdes s’intensifie avec des investissements massifs dans l’immobilier à Paris. Masrour Barzani - fils aîné de Massoud - chef du Parastin, le service de renseignement du Parti démocratique kurde (PDK), assure ses arrières. Titulaire de la Green card, il a fait accoucher sa femme aux Etats-Unis pour que l’enfant ait automatiquement la nationalité américaine, et a demandé au Département d’Etat d’être naturalisé.