Saturday, April 25, 2009

Interview

3 questions à:
Gilles Munier : « espion de l’or noir » !
"7 Jours" (Hebdomadaire - Rennes) du 24 avril 2009

Le rennais Gilles Munier, connu pour ses relations en Irak du temps de Saddam Hussein, vient de publier « Les espions de l’or noir »* qui traite des menées clandestines occidentales dans le Caucase et dans le monde arabe, de Napoléon 1er à la fin de la Seconde guerre mondiale. Outre l’inévitable Lawrence d’Arabie, il brosse le portrait d’une pléiade d’agents secrets sulfureux qui ont fait du pétrole l’énergie maîtresse du monde. Un document passionnant qui se lit comme un roman.


Q : Les « Espions de l’or noir » débutent avec l’expédition de général Bonaparte en Egypte. Pourquoi remonter si loin, à une époque où il n’était pas question de pétrole ?

R : Les espions sont des pions sur un échiquier. Les défaites militaires de Bonaparte devenu Napoléon 1er, puis de Napoléon III, face aux Anglo-saxons ont permis à leurs agents secrets d’être en position de force au Proche-Orient lorsque Churchill a choisi le pétrole comme carburant de la flotte anglaise. Les dirigeants français de l’époque, inconscients ou corrompus, les ont laissé faire. Les Américains sont ensuite entré dans le jeu. Les deux guerres mondiales étaient des guerres du pétrole, les Allemands les ont surtout perdues faute d’en avoir où d’accéder à ses sources. L’expédition de Suez, la guerre dite des Six jours, les guerres Iran-Irak et du Golfe aussi. Comme le disait un des fondateurs de l’OPEP, le pétrole est bien « l’excrément du Diable ».

Q : Vous avez effectué de multiples voyages au Proche-Orient et rencontré des dirigeants qualifiés de terroristes, n’avez-vous jamais craint d’être accusé d’espionnage ?

R : Toute la question est de savoir où commence et où finit l’espionnage. Du temps de la guerre froide, remettre aux Soviétiques les derniers horaires SNCF pouvait être assimilé à de l’intelligence avec l’ennemi. J’ai toujours agi selon ma conscience, selon l’idée que je me faisais de la France et de ses intérêts, sans trahir la confiance de mes interlocuteurs. Le Proche-Orient est un nid d’espions. Etre soupçonné d’espionnage fait partie du paysage. Quand on n’a rien à se reprocher, il ne faut pas s’inquiéter.


Q : Dans les années 70, vous avez séjourné symboliquement dans un camp palestinien, en 1990 vous avez fait libérer des otages français en Irak, vécu les guerres Iran-Irak et du Golfe, reçu des menaces de mort d’un fanatique pro israélien, enfin depuis 4 ans - après votre mise en examen, avec le patron de Total, quelques ambassadeurs et Charles Pasqua, dans l’affaire « Pétrole contre nourriture » - il vous est interdit de sortir de France, pourquoi n’avoir pas plutôt choisi de raconter vos aventures ?

R : J’ai été mis en examen par le juge Courroye pour avoir violé une résolution de l’ONU, et astreint de verser une caution de 50 000 euros. Je m’en serai bien passé, mais suis fier d’avoir lutté contre un blocus responsable de la mort de plus d’1,5 million enfants irakiens. L’interdiction de quitter la France me pose de graves problèmes financiers. J’ai du abandonner deux projets de livres qui nécessitaient des déplacements à l’étranger. Vivement le procès… et la liberté : avec Jacques Vergès, mon avocat, nous l’attendons de pied ferme.

Si « Les espions de l’or noir » se vend bien, j’envisage une suite. Quant à écrire mon autobiographie : encore faudrait-il que ma vie intéresse suffisamment de lecteurs pour la raconter. Je n’en suis pas persuadé.

* Editions Alphée-Koutoubia - 330 pages, avec photos, cartes et index – 22,90 euros

Envoi de "Les espions de l'or noir", dédicacé par l’auteur
France: Chèque de 28, 40 euros (22, 40 + 5,50 de port), à l’ordre de :
Amitiés franco-irakiennes
7, rue de Sarzeau - 35700 Rennes
(tarif sur demande pour les envois à l'étranger)

Table des matières de l'ouvrage:
http://espions-or.noir.over-blog.com/pages/Table_des_matieres-1282939.html






Thursday, April 9, 2009

CORRUPTION EN IRAK

Les non-dits du commerce avec l’Irak
Arnaques et pièges en tous genres à Bagdad
par Gilles Munier

A l’exception de ceux qui ont une parfaite connaissance des rouages de l’économie irakienne et de ses pièges, inciter les chefs d’entreprises à aller à Bagdad – comme l’a fait Nicolas Sarkozy - peut être assimilé à de la non assistance à personne en danger. L’Irak n’est pas un eldorado pour occidentaux, mais un champ de bataille. Il le demeurera tant que les Américains n’auront pas quitté le pays… et ce n’est pas demain la veille. Pour avoir un aperçu des dangers encourus, il suffit de consulter le site « Conseils aux voyageurs »… du Quai d’Orsay, et ceux des organismes qui traitent des « risques pays » : OCDE, AON France ou l’ONDD belge.

Les dirigeants portés au pouvoir à Bagdad par les Américains, ne semblent pas avoir pour priorité de reconstruire le pays, mais de se remplir les poches en un minimum de temps. Les chefs d’entreprises étrangères, appâtés par des contrats « juteux », ne sont pour eux que des pigeons à plumer. Les témoignages ne manquent pas sur les chausse-trappes à éviter et la course aux obstacles sans fin imposée à ceux qui se sont risqués à commercer avec l’Irak.

Certains ont déjoué des arnaques à la nigériane. A Erbil – Kurdistan irakien - et en Irlande, des bureaux de représentation bidons émettent des faux contrats au nom d’organismes officiels irakiens et réclament une participation aux frais pour les valider. D’autres ont été victimes de gangs de hackers qui ont intercepté leurs échanges de courriels avec leurs contacts en Irak, et ont reçu de fausses demandes d’aide, sous le couvert d’identité d’hommes d’affaires irakiens connus.

A Bagdad, l’industrie du bakchich fonctionne à plein rendement. Il faut en verser, en cascade, aux responsables de partis chiites pro iraniens, ou sunnites pro américains, qui se partagent les postes dans les ministères et les sociétés qui en dépendent. Les contrats traités par un ministre étant supérieurs à 5 millions de $, compris entre 2 et 5 millions de $ pour les vice ministres, et jusqu’à hauteur de 2 millions pour les directeurs généraux, on imagine les commissions réclamées par les intermédiaires qui pullulent.

Ce n’est pas tout : l’Iraqi Investment Board, créé pour encourager les étrangers à investir dans la reconstruction du pays, pratique un véritable racket. N’ont le droit de concourir que ceux qui payent pour voir, mais à la différence du poker, la partie est loin d’être terminée. Le chef d’entreprise se fait aussi rançonner par la Trade Bank of Irak qui a le monopole de l’émission des lettres de crédit (LC) pour l’Etat irakien, puis doit verser des provisions pour le paiement des commissions aux comités chargés de réceptionner ses envois. Enfin, l’angoisse le prend quand il s’aperçoit que les LC sont rédigées de façon à ce que son client puisse bloquer le paiement du contrat sous divers prétextes. Les LC n’étant pas envoyées après émission aux ministères concernés, ne sont pas validées par les sociétés d’Etat. Résultat : quand le fournisseur se voit réclamer des pénalités de retard, il n’a aucun recours. La désorganisation de l’économie irakienne a bon dos. Les incohérences et ratées du système sont souvent délibérées.

Depuis quelques semaines, pour décourager les sociétés étrangères de recouvrer leurs créances quand le montant des contrats ne dépasse pas les 2 millions de $, la Trade Bank of Iraq (TBI) – qui joue le rôle de l’ancienne Banque centrale d’Irak pour le règlement des contrats des sociétés et organisations d’Etat – oblige les sociétés étrangères à effectuer les remises documentaires à des partenaires locaux dans des régions « instables ». Par exemple, une livraison à Bassora, où il est facile à se rendre via Koweït City, est ainsi traitée à 850km, par une banque de Mossoul, dans une province connue pour être un des principaux foyers de résistance, donc impossible d’accès sans protection armée coûteuse. Ces méthodes de gangsters n’étonnent personne sur les bords du Tigre. Le président de la TBI est, comme par hasard, un affidé d’Ahmed Chalabi, condamné à 22 ans de prison en Jordanie, en 1992, pour la faillite frauduleuse de la banque Petra et ses relations la CIA… et les mollahs iraniens.

Ce n’est évidemment pas parce qu’un régime déplait qu’il faut ostraciser le peuple d’un pays. A plus forte raison lorsqu’il s’agit de l’Irak qui a subi deux guerres, treize ans d’embargo criminel et une occupation meurtrière qui n’en finit pas. Il n’y a aucune raison, non plus, de laisser les entreprises anglo-saxonnes et iraniennes monopoliser le commerce extérieur irakien. Mais, est-ce uniquement pour cela qu’est organisé le retour des entreprises françaises en Irak ?

Avant de commercer avec l’Irak, il est vivement conseillé de lire Kafka.

Thursday, April 2, 2009

Commercer avec l'Irak? (2)

Entreprises françaises :
La sécurité ne sera pas au rendez-vous

Conditions de la reconstruction : le départ des troupes anglo-saxonnes du pays et l’élection d’un gouvernement vraiment représentatif du peuple irakien. On en est loin. La promesse de Barak Obama de se retirer totalement d’Irak n’étant qu’en partie tenue, l’amélioration de la sécurité pour les hommes d’affaires intéressés par le marché irakien, n’est pas au rendez-vous des entreprises françaises. De 15 000 à 50 000 Gi’s resteront en Irak pour une période indéterminée. Ils participeront, sous un autre nom, à des opérations militaires. Personne ne parle des 150 000 mercenaires en mission dits de sécurité, ni du nombre de bases qui seront maintenus. Le général Ray Odierno, commandant des troupes d’occupation, envisage d’en installer une près des champs pétroliers de Kirkouk, sous prétexte d’empêcher les Kurdes d’annexer la ville.

La Résistance qui avait réduit ses activités en janvier, les relance. Le bureau politique de Rafidain l’a fait savoir le 28 février avec son communiqué n°57. Cette organisation est connue pour ses nombreuses opérations, la plus célèbre étant l’assassinat, en décembre 2003, de Dale Stoffel, un proche de George Bush, officiellement marchand d’armes, mais accusé d’être le véritable chef de la CIA en Irak. Autre réaction : celle du Front islamique de la résistance irakienne (JAAMI), le 11 mars : Abdullah Hafiz, son porte-parole, a déclaré avoir suffisamment de munitions pour tenir dix ans et estimé entre 50 et 75 le nombre d’opérations militaires effectuées chaque mois par le front. Il a annoncé, pour bientôt, la mise en service d’un missile de 25kms de portée (*). Bonjour les dégâts.

(*) http://antiimpmedia.wordpress.com/2009/03/09/jaami-hafiz

Commercer avec l'Irak?

Affaires à haut risque à Bagdad
par Gilles Munier (Afrique Asie – avril 2009)

Nicolas Sarkozy ne comprenait pas pourquoi les chefs d’entreprise français rechignaient à se rendre à Bagdad… Il y est allé en visite éclair, le 10 février, avec Bernard Kouchner et Hervé Morin, à bord d’un avion sécurisé, pour dire au président Jalal Talabani que la France était de retour et se proposait d’aider l’Irak à former et à équiper ses forces de police et de sécurité, et « aussi l'armée irakienne». Alors que Robert Gates, secrétaire américain à la Défense, avait déclaré fin janvier que les troupes américaines allaient « connaître des jours difficiles », le président français demandait à Bernard Kouchner de profiter de « l’amélioration » de la situation sécuritaire pour organiser et diriger, en juin prochain, une mission commerciale.

L’Irak dans le rouge
Des chefs d’entreprise y participeront, ne serait-ce que parce qu’elles ont besoin de l’aide de l’Etat sur d’autres marchés. Mais, retourner ensuite à Bagdad finaliser d’éventuels contrats et participer à la reconstruction du pays, est une autre histoire. Il leur suffit de consulter… le site « Conseils aux voyageurs » du ministère des Affaires étrangères, pour avoir un autre éclairage de ce qui les attendrait alors. Le son de cloche est radicalement différent : les voyages en Irak sont « fortement » déconseillés. Le Quai d’Orsay demande d’emprunter un véhicule blindé, escorté de gardes armés, pour aller de l’aéroport à la Zone verte hyper protégée, de se tenir à l’écart des fenêtres ou derrière des rideaux pour éviter les éclats d’explosions. En cas de déplacements, il enjoint de rester à distance des convois militaires, car les soldats peuvent tirer à titre préventif, prenant n’importe qui pour d’éventuels attaquants.

Tous les sites spécialisés dans les « risques pays » situent tous l’Irak dans le rouge. Sur une échelle de 7, l’OCDE place l’Irak au niveau 6 pour les risques politiques, et au niveau C pour les risques commerciaux, le maximum. L’ONDD, agence belge de crédit à l’export, lui attribue le niveau 7 pour les risques de guerre, et Aon France, filiale d’un des leaders mondiaux de la gestion des risques, classe l’Irak dans les pays à risques « très élevés » et signale la difficulté de souscrire des polices d’assurance pour couvrir les risques encourus. La Coface, assureur-crédit français, ne sera d’aucun secours. Elle a annoncé un plan de crise pour 2009, et commencé par relever de 30% ses tarifs généraux, qui ne comprennent pas les surprimes réclamées pour un pays comme l’Irak. Pas bon pour les affaires. Si bien qu’encourager, aujourd’hui, un chef d’entreprise à aller en Irak – sauf s’il a une parfaite connaissance des rouages de l’économie irakienne et de ses pièges – tient de l’irresponsabilité, voir de non assistance à personne en danger.

Kouchner, mauvaise carte
Autre handicap pour les entreprises qui participeraient à la mission commerciale, à Bagdad, l’étoile des amis de Bernard Kouchner est sur le déclin. Le président Jalal Talabani, son principal soutien, a décidé de ne pas se représenter en 2010. A 75 ans, son état de santé est des plus préoccupant et il lui faut reprendre en main l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) qu’il dirige, en voie d’implosion. Reste le vice-président de la République, Adel Abdel Mahdi, membre du Conseil suprême islamique irakien, grand perdant aux dernières élections régionales en raison de ses liens étroits avec l’Iran. Donc, il n’est pas dit qu’il le demeurera. D’autant qu’on l’accuse par ailleurs de corruption, et notamment… de l’achat d’un vignoble dans le Bordelais ! En revanche, le départ probable de Kouchner du Quai d’Orsay serait plutôt positif. Nouri al-Maliki, Premier ministre, qui s’impose dans la perspective des élections législatives prévues pour la fin de l’année, n’a pas encore digéré qu’en août 2008, ce dernier ait demandé à Condoleezza Rice son remplacement par Adel Abdel Mahdi. Mieux vaudrait, pour les entreprises, que le voyage soit repoussé à des jours meilleurs.

Ce n’est évidemment pas parce qu’un régime déplait qu’il faut ostraciser le peuple d’un pays. A plus forte raison lorsqu’il s’agit de l’Irak qui a subi deux guerres, treize ans d’embargo criminel et, où l’occupation meurtrière du pays n’en finit pas. Il n’y a aucune raison, non plus, de laisser les entreprises anglo-saxonnes et iraniennes monopoliser le commerce extérieur irakien. Mais, est-ce bien dans cet esprit qu’est organisé le retour des entreprises françaises en Irak ? Il ne faut pas confondre patriotisme économique et mercantilisme. Avec Bernard Kouchner, on sait maintenant qu’il faut craindre le pire.